Ouverture
Paris, le 26 avril 2022
Chères lectrices, chers lecteurs,
Chaque publication du Mensuel est la trace renouvelée de ce qui nous pousse à réfléchir sur notre pratique analytique, dans l’époque qui est la nôtre. D’un pôle à l’autre, chacun(e) tisse un lien à l’École et déploie l’option lacanienne que nous avons choisie pour penser notre clinique.
Il y a deux ans, le premier déconfinement en France allait commencer. Deux ans et deux mois après les débuts de la pandémie, ses effets perturbateurs perdurent, notamment dans les liens sociaux. C’est une banalité de le souligner, mais ils ne cessent de se faire entendre en institution et dans les cabinets. Le télétravail, entre autres, amène son lot de plaintes et de symptômes : l’épuisement professionnel en est un des signes, conséquence d’une dilution des espaces privés au profit de la sphère professionnelle. La digue entre l’intime et le professionnel ne tient plus bien. Solitude, mot-valise employé de plus en plus pour tenter de dire quelque chose de l’érosion des liens et des rencontres. Commençons par l’écrire au pluriel, « solitudes », pour ne pas perdre de vue notre écoute au un par un et aller au-delà de l’écueil généralisant.
Au moment où j’écris cette ouverture, la guerre en Ukraine, si près de nos frontières, continue de gagner du terrain. La censure des voix qui s’élèvent contre cette guerre au pays des belligérants s’apparie au déni des massacres commis. Nicole Bousseyroux, dans son texte introductif à l’exposé de Xavier Mauduit – invité du séminaire Champ lacanien « Les nouvelles formes de censure » –, nous rappelle deux sortes de censure : celle qui déforme la vérité et la censure intrinsèque à la vérité en tant qu’elle est impossible à dire toute. Elle écrit que Freud, dans son Introduction à la psychanalyse, en 1916, établit une analogie entre le travail de déformation du rêve et l’écrivain politique. Dans les deux cas, ce procédé de censure se retrouve quand on ouvre n’importe quel journal politique et y trouve de-ci de-là le texte interrompu faisant apparaître le blanc de papier.
Daniil Harms, écrivain russe mort de faim dans une prison psychiatrique en 1942, à la suite de son arrestation par le NKVD1, est l’auteur de textes brefs, dont les « miniatures absurdes2 » révèlent en filigrane le procédé de la censure soviétique et de toute dictature. Voici l’une de ces « miniatures », écrite en 1934, qui n’est certes pas une forme actuelle de la censure puisqu’elle est impérissable :
« Illusion d’optique »
« Sémione Sémionovitch chausse ses lunettes, regarde un sapin et voilà ce qu’il voit : dans le sapin, il y a un moujik, et le moujik le menace du poing.
Sémione Sémionovitch enlève ses lunettes, regarde le sapin et voit qu’il n’y a personne dans le sapin. Sémione Sémionovitch chausse ses lunettes et regarde à nouveau le sapin et voit à nouveau qu’il y a un moujik dans le sapin, et qu’il le menace du poing. Sémione Sémionovitch ré-enlève ses lunettes et voit une nouvelle fois qu’il n’y a personne dans le sapin.
Sémione Sémionovitch rechausse ses lunettes, regarde le sapin et voit une nouvelle fois qu’il y a un moujik dans le sapin et qu’il le menace du poing.
Sémione Sémionovitch refuse de croire à ce phénomène et classe ce phénomène dans la catégorie des illusions d’optique. »
Entre-temps, dans ce Mensuel de juin, vous pourrez lire des textes des collègues, dont l’un prononcé par Sol Aparicio au Collège de clinique psychanalytique du Sud-Ouest et celui de Brigitte Hatat au Collège de clinique psychanalytique de l’Ouest. Un autre prononcé à Rio par Sidi Askofaré, « Racisme ou psychanalyse », puis un quatrième présenté par Adrien Klajnman, fruit d’un séminaire qui se déroule à Paris, à Maison Blanche. En attendant avec impatience les prochaines journées nationales qui se tiendront les 26 et 27 novembre 2022, « Qu’est-ce qu’on paye dans une psychanalyse ? », vous pourrez lire le billet d’Anastasia Tzavidopoulou, « L’analyste, mendiant du désir » et trois interventions des précédentes journées nationales, dont le thème était « Hystéries ».
La rubrique « Enfance et psychanalyse » nous rappelle la richesse des rencontres qui ont eu lieu entre psychanalystes et familles d’enfants autistes, lors des journées qui se sont déroulées à Ivry-sur-Seine.
Marie-José Latour nous parle du dernier livre de Philippe Forest. Et Colette Soler présente le thème de la VIIe Rencontre d’École qui aura lieu à Buenos Aires, dont le thème est : « La passe à l’analyste ».
Sans oublier un échange épistolaire entre Anna Freud et Lou Andreas-Salomé.
Un Mensuel, reflet de la vie de notre École, de sa pluralité de voix.
Bonne lecture,
Nathalie Dollez
Sommaire
Ouverture
Séminaires Champ lacanien
« Les formes actuelles de la censure »
- Nicole Bousseyroux, Introduction à la rencontre avec Xavier Mauduit
- Jean-Pierre Drapier, Présentation de la rencontre avec Guy Le Gaufey
D’un pôle à l’autre
- Adrien Klajnman, Inquiétant retour à l’inquiétante étrangeté
- Sol Aparicio, Savoir par expérience et expérience du savoir
- Brigitte Hatat, Ce qui a déjà répondu
Et entre-temps…
Journées nationales : « Hystérie »
- Anastasia Tzavidopoulou, Hystérie : du singulier au pluriel
- Radu Turcanu, Du Phallus au « sans-trique »
- Adèle Jacquet-Lagrèze, Une duplicité qui s’ignore
Enfance et psychanalyse
2es journées sur le(s) autisme(s), « Se débrouiller d’un corps…/ »
Ivry-sur-Seine, 22 et 23 janvier 2022
Retours
Art et psychanalyse
VIIe Rencontre internationale d’École
« La passe à l’analyste »
Buenos aires, 30 juin 2022
Journées nationales, Paris
« Qu’est-ce qu’on paye en psychanalyse ? »
26-27 novembre 2022
Billets
Fragments