Le Champ lacanien et le psychanalyste
Présentation des journées
La psychanalyse est un symptôme, au même titre que les autres productions de l’humain. Mais différent aussi, ne serait-ce que parce que son objet est justement le symptôme, soit ce que trafiquent les humains pour se soutenir dans l’existence en se procurant du plaisir, à leur insu pour l’essentiel, et à l’occasion en satisfaisant plutôt la pulsion de mort. Un trafic qui ne connaît pas de relâche, Marx et Claude Lévi-Strauss l’ont largement démontré, et qui occupe tant les « parlêtres » qu’ils en oublient l’objet même de leurs échanges. Que veulent-ils? Qu’est-ce qui les meut et les émeut au-delà de leur demande immédiate? Ils n’ont pas l’air de se poser la question alors qu’ils agissent comme s’ils le savaient, ils ont l’air à l’aise dans leur monde, qu’ils appellent la réalité. Mais il arrive aussi que les dits symptômes les dérangent… Le psychanalyste serait-il celui qui connaît la réponse? Il sait en tout cas le manque, le signifiant qui en est la cause et lui donne sa signification phallique si la castration y joue son rôle, le plus-de-jouir qui s’en rattrape in extremis par les oreilles. Ce sont les clés simples qui ordonnent le ballet des échanges de paroles et de biens à quoi s’emploie l’humain quand il ne dort pas. Et s’il dort, il n’en continue pas moins son ouvrage par son rêve, délesté qu’il est alors du poids de son corps et de la nécessité de la preuve matérielle. Quatre petites lettres, $, S1, S2, a, écrivent dans leur ronde de quadrille les quatre discours qui rendent compte du champ des jouissances possibles, le champ lacanien, qui n’est rien d’autre que la réalité. Sans omettre le hors-discours, la question de la réalité se posant dans les cas qui en répondent de façon d’autant plus crue. Car ce sont ces discours répertoriés par la psychanalyse qui détiennent la réalité dans laquelle s’inscrivent les sujets parlants. Ils permettent aussi l’interprétation de cette réalité, la mise en lumière des tentatives toujours renouvelées de la faire répondre à une attente impossible ainsi vouées à l’échec. Ce renouvellement fait l’Histoire, jusqu’à l’époque contemporaine où l’individu, ne sachant plus à quel saint se vouer pour savoir que faire et que penser, est obligé de s’en remettre à la communication, autre nom de la publicité. Sans plus d’espoir pour autant, sinon d’être toujours plus asséché par sa « soif du manque à jouir », avec en retour toutes les réactions de ressentiment, des plus douces aux plus explosives, que l’on peut relever dans les faits divers comme dans la vie politique. Les tentatives de prévention, réponses toujours prématurées et inadéquates, ne faisant que l’attiser. Mais le sujet, même moderne, ne cherche pas moins une voie pour réaliser sa rencontre avec une altérité véritable qui donnerait sens à sa quête. Il est de fait que même la consommation effrénée, fut-ce sous les espèces de la pornographie, ne vient pas à bout de la nécessité de l’amour. Qu’il soit divin ou profane, le succès des discours qui en traitent en est la manifestation la plus tangible, ainsi qu’en atteste la montée de la religion en notre siècle pour le premier, l’inépuisable recherche de l’âme soeur pour le second. Une psychanalyse peut aider un sujet à distinguer dans le discours qui le commande, celui de l’inconscient, ce qui lui fait de l’effet de ce qui le laisse indifférent, indépendamment des préjugés de son monde. Il peut ainsi arriver à prendre des risques, le risque du désir, et trouver la voie de sa satisfaction dans ce à quoi il s’emploie. Mais la psychanalyse ne le libérera pas de cette responsabilité du désir qui lui imposera d’inventer sa vie, c’est-à-dire ses solutions. Certains peuvent s’y montrer plus imaginatifs, féconds et créatifs que d’autres… Mais le psychanalyste est nécessaire à la psychanalyse pour qu’elle existe, et il lui est en même temps toujours en défaut puisqu’il lui faut bien parler, donc se vouer au malentendu. Comment savoir alors s’il en sait assez, surtout sur lui-même, pour s’y retrouver dans ces discours qui ne s’ordonnent que du sien? Quelle doit être sa formation, comment peut-il être reconnu comme tel ? Quel est ce désir insensé qui lui fait assumer une fonction injustifiable, par essence ? Au point que nombre de penseurs depuis l’invention de la psychanalyse dépensent un temps et une énergie considérables à essayer de la discréditer, au nom de cet injustifiable même qui leur fait horreur, ce qui ne l’empêche pas d’exister, en quoi, et comme nombre d’athées inconséquents à la religion, ils lui rendent encore hommage. Comment le psychanalyste témoigne-t-il de son désir, d’une façon recevable pour ses pairs comme pour chacun qui peut y entendre une vérité qui lui fait appel de savoir vrai ? Enfin, quel est son plaisir ? Autant de questions qui ne cessent de se reposer dans la psychanalyse, à mesure que se renouvellent, ombres portées de ses avancées, les dispositifs d’amortissement de sa découverte. C’est pourquoi le psychanalyste, c’est-à-dire sa définition, reste inséparable de l’étude du champ lacanien, soit de ce qui fait la réalité dans notre monde d’aujourd’hui.
Responsable des Journées : Marc Strauss
Responsable de l’organisation : Sylvana Clastres