2018-2019 – Séminaire du Champ lacanien – Les ségrégations
Organisé par le Conseil d’Orientation (CO) et la Commission Séminaire Champ lacanien d’Accueil et de Garantie (CAG) de l’EPFCL-France
Les ségrégations
Nous disons les ségrégations au pluriel car elles sont nombreuses, mais toutes procèdent de façon identique : elles créent des espaces réservés. Ces espaces sont divers, des races supposées, de la couleur de peau, du sexe… mais aussi des pratiques culturelles les plus variées avec les langues et les compétences qu’elles exigent. Dans tous les cas, ces espaces ont leurs exclus et ceux qui y sont admis se définissent d’un même trait unaire, la cohésion grégaire des uns se payant de l’exclusion de la différence des autres.
L’histoire des civilisations semble bien attester qu’il n’y en aucune où des procès de sé- grégation ne soient pas à l’œuvre. Ils n’ont donc pas attendu le capitalisme, c’est sûr. La différence, c’est que lorsque « les discours tiennent en place » comme dit Lacan, les places justement sont ordonnées et les espaces étanches des ségrégations plus ou moins supportés voire consentis. C’est ce qui a changé avec le capitalisme. Désormais plus l’aspiration égalitaire et la chasse aux « signes distinctifs » s’imposent, et plus les ségrégations sauvages, choisies ou imposées, se multiplient. Ce qui se ressemble, en quoi que ce soit, nourriture, mode de vie, conviction, religion etc. s’assemble désormais contre l’étranger. C’est la logique des « camps », généralisée, dont Lacan avait prédit la montée, avec ses murs multiples et pas toujours en pierre ou en barbelés.
Au principe de ces processus historiquement très variés que nous allons décliner sur une année, il y a une constante que la psychanalyse a révélée : les impasses des jouissances propres aux parlants lesquelles, d’être sujettes aux effets des inconscients, ne sont jamais liantes, au mieux grégaires mais plutôt parentes de Thanatos qui sépare.
Ce séminaire sur les ségrégations adopte cette année une nouvelle formule : elle vise à regrouper une plus grande variété d’interventions courtes et coordonnées, allant selon les soirées de quatre à deux avec à chaque fois deux discutants ou discutantes.
Colette Soler
Les membres peuvent écouter les enregistrements des séances en suivant le menu Audio qui apparait après s’être connecté avec son compte utilisateur personnel (Espace membre).
18 octobre 2018
Ouverture du séminaire
par Colette Soler : Comment Lacan parlait-il de la ségrégation ?
Beaucoup moins que l’on ne croit, en dépit du poids de ses propos à la fin de « La proposition sur le psychanalyste de l’Ecole ». C’est ce qu’il faudrait mesurer.
Discutante : Françoise Josselin
29 novembre 2018
Ségrégations des sexes (1)
Nicole Bousseyroux : « Metoomanie »
Que nous apprend le scandale Weinstein de la ségrégation entre les sexes ?
Anita Izcovich : « Les femmes : une ségrégation de fait »
Quelles sont les raisons qui amènent à proposer, à partir de Lacan, l’idée d’une ségrégation propre aux femmes et quelles sont les issues possibles ?
Eliane Pamart : « Les solitudes de l’amour »
Cet amour qui veut faire « Un » tout, ne faisant que surgir la jouissance de chac-Un, conduirait-il à une ségrégation des sexes ? Nous verrons avec Freud et Lacan comment envisager la question.
Esther Morere-Diderot : « Ségrégation…de récréation »
Certains espaces donnent à voir entre les hommes et les femmes l’apparition de ségrégations plus ou moins féroces. Nous verrons à travers les dires de certains petits-uns lesquelles, et comment cela est en lien avec leurs jouissances singulières.
Discutants : Jean-Jacques Gorog et Philippe Madet.
20 décembre 2018
Ségrégations des sexes (2)
David Bernard : « Le sens de la ségrégation »
Dans son texte « L’étourdit », Lacan souligne la façon dont les psychanalystes, pour théoriser la différence des sexes, auront élevé le phallus au rang de « signifiant m’être », pour les deux sexes. Il démontra alors comment cette théorisation, loin de faire place à une différence, visa plutôt à abolir son réel, et à « forcer l’ab-sens » du rapport sexuel. Je commenterai alors en quoi l’aperçu de ce forçage nous permet de situer en psychanalyse la ségrégation entre les sexes de façon nouvelle, sur le plan du sens, et du dire.
Patrick Barillot : « Sex-grégation »
« Il n’y a de femme qu’exclue par la nature des choses qui est la nature des mots » : nous commenterons (citation du Séminaire XX, Encore, p. 68).
Adrien Klajnman : « La ségrégation des sexes : un nouvel espoir analytique ? »
À l’issue d’une présentation d’un patient travesti, à Sainte-Anne, en 1976, Lacan concluait son entretien par cette sentence : « On ne ferait dans ce cas qu’une singerie de psychanalyse. C’est bien pour cela que je pense que c’est sans espoir. »
On se demandera ce qu’il est possible d’espérer à partir de la dysharmonie des jouissances sexuelles : dans la psychanalyse comme discours sans tradition, dans le cours de l’analyse et pour se repérer autrement dans la clinique.
Discutantes : Irène Tu Ton et Agnès Wilhem.
31 janvier 2019
Les langues et les ségrégations
Patricia Dahan : « Les langues, la langue et les ségrégations »
Des philologues, des philosophes, des écrivains ont fait état, chacun à sa façon, à travers les siècles, des effets d’un certain usage de la langue ou des langues sur les ségrégations. Je propose d’examiner ces données historiques à la lumière de la psychanalyse.
Frédéric Pellion : « Le psychanalyste et son barbare »
L’argument (si tant est qu’il en soit un) : « Si 1) tout discours emporte des effets de ségrégation et si 2) il y a un discours analytique, alors 3) le discours analytique n’emporte-t-il pas lui-même de tels effets de ségrégation ? »
Discutantes : Mihaela Turcanu-Lazarov et Jacques Gayard.
21 mars 2019
Racisme des discours
Bernard Nominé : « La place, la classe, la race »
Place, classe et race sont des constructions de discours. Tous les discours y participent-ils ?
Bernard Lapinalie : « Pourquoi l’école de psychanalyse lacanienne est antiraciste »
Après la création des Forums du Champ lacanien, il y a vingt ans, la nécessité qu’il y eût aussitôt une école nous paraissait une évidence – un brin d’auto- maton sans doute. Je me souviens que Colette Soler intervint alors en posant la question : « Pourquoi une école ? » à n’en pas douter il s’agissait d’une interprétation du groupe ; elle introduisit une scansion. L’affaire s’est conclue par notre école et ma conviction n’a pas été entamée. Pourtant la question demeure, toujours mordante, car solidaire de celle du groupe des analystes et de sa responsabilité quant au statut du discours analytique et à sa place dans le monde.
Elisabete Thamer : « Interprétation des discours »
C’est inévitable, les discours s’interprètent les uns les autres. La différence de la jouissance produite par chacun d’eux est possiblement au cœur du « racisme des discours en action » (J. Lacan, « L’étourdit », Scilicet, n° 4, Paris, Seuil, 1973, p. 19). Quid du discours analytique ?
Discutants : Claire Parada et Bernard Toboul.
18 avril 2019
Les exils
Patricia Zarowsky : « Exil et langue »
Les dits de l’exil sont singuliers et sont à prendre au un par un. Il y a pourtant un dit qui est mis en avant par de nombreux exilés qui est l’exil de la langue maternelle. La psychanalyse nous enseigne que cet exil est pourtant de structure pour chacun. Je tenterai d’approcher la question du rapport entre psychanalyse et exil.
Sidi Askofaré : « Exil et ségrégations »
De l’exil, c’est peu de dire qu’il est devenu, aujourd’hui, ambigu et paradoxal. En effet, de la peine judiciaire à laquelle le Maître condamne, qu’il fut d’abord en tant qu’exil contraint (expulsion, bannissement, relégation, déportation, etc.), il est devenu au fil de l’histoire un acte hérétique, voire héroïque, le produit du choix d’un sujet ou d’un groupe contre la misère, l’oppression politique, les persécutions religieuses ou raciales, etc. De sorte qu’aujourd’hui le terme d’exilé subsume indifféremment émigrés, apatrides, refugiés, expulsés, etc., conduisant les politiques à faire le tri entre les « bons » exilés et ceux qui ne le seraient pas. Où s’ouvre sans doute le chapitre qui articule l’exil aux ségrégations.
Luis Izcovich : « Les affects de l’exil »
Les termes désignant les affects liés à une perte ne semblent pas rendre compte de l’expérience de déracinement. Dès lors une question se pose : existent-ils des affects propres à l’exil ? Nous proposons d’aborder la question d’une perte propre à l’exil, les affects qui s’y associent, et leur devenir dans l’expérience analytique.
Armando Cote : « L’exil nu »
L’expérience de l’exil dévoile la fragilité extrême de la condition humaine. Giorgio Agamben rappelle la différence que les Grecs faisaient entre « zoé » et « bios ». Bien que ces deux mots aient une étymologie commune, ils sont sémantiquement et morphologiquement distincts : « zoé » est commun à tous les êtres vivants, c’est la vie nue reproduite dans un contexte non organisé politiquement, tandis que « bios » est un genre ou un mode de vie commun à un groupe, c’est la vie humaine dans la cité. La bio-politique de Foucault ne tient pas compte de cette distinction. Freud en revanche a isolé un type de détresse qui est dès l’origine propre à notre espèce : « Hilflosigkeit », détresse du sujet de vivre au-dessus de ses moyens. Il existe parmi toutes les formes d’exil un qui réactive cette première expérience de séparation.
Discutantes : Sylvana Clastres et Lina Velez.
23 mai 2019
Ségrégation choisie
Nadine Cordova : « De l’intrusion au(x) troupeau(x) »
Ségrégation choisie laisse entendre que l’on peut choisir/épouser/adopter un enclos pour paître plus paisiblement, peut-être… Une histoire d’espace qui semble commencer tôt.
Christophe Charles : « Ségrégation choisie ou le choix de la fraternité »
Comment concevoir qu’une ségrégation puisse être choisie ? Si segregare indique une « mise à l’écart » du grex, « le troupeau, groupe d’individus de la même espèce », cela indique plutôt une action subie, qui vient de l’autre, telles que les manifestations de rejet de notre époque en témoignent, ségrégation du « prochain » freudien dont la jouissance indispose, voire fait horreur, qu’il soit femme, homosexuel, juif ou migrant. Alors… choisie ? Peut-on concevoir ce choix tel celui qui a présidé à la causation du sujet à l’entrée dans le langage, à savoir un choix forcé, où le choix de la vie n’est pas sans un renoncement de jouissance ? Lacan repère que la fraternité s’origine d’abord d’une ségrégation. Les fils ségrégés par le père de la horde se reconnaissent comme frères à partir d’un acte fondateur de renoncement de jouissance, socle d’un nouveau lien social. J’interrogerai cette articulation entre ségrégation et fraternité autour de la question du choix, et de l’acte qui le sous-tend, pour penser la question de celui qui, en fin d’analyse, expérimente « sa différence absolue », celle de la jouissance de son symptôme à laquelle il s’identifie, mais qui le laisse tout seul…, et de sa possibilité ou non d’un choix de sa part d’une ségrégation assumée qui serait du côté de la fraternité avec les autres épars désassortis.
Nathalie Dollez : « Un choix imposé ? »
La violence extrême produit chez le sujet qui en a été l’objet une double exclusion : elle le déporte du lien social et de la parole. Les effets de la torture sont ségrégatifs en tant qu’ils mettent à part de la communauté humaine. Le sujet s’enclot dans le silence de la honte. Aux prises avec la colonisation infâme de jouissance qui laisse des traces actives, le sujet peut prendre une décision radicale et salvatrice : s’exiler pour sauver sa peau, se déraciner pour oublier… et tenter de se séparer de sa langue maternelle pour tirer un trait sur le pire, en choisissant une autre langue. Quelles sont les conséquences d’un tel choix ? Peut-on parler de « ségrégation choisie » lorsqu’un sujet décide de ne plus parler sa langue maternelle et en élit une autre ? C’est ce que je propose de discuter.
Discutantes : Roseline Le Cœur et Claire Duguet.
20 juin 2019
Ségrégation familiale
Natacha Vellut : « La veuve, une figure à facettes de la ségrégation des femmes »
La figure de la veuve, qu’on pourrait croire archaïque et démodée, demeure vivace. Je tenterai à travers elle de saisir les mécanismes de la ségrégation, l’usage de signifiants, l’apposition de marques, le choix de représentations, l’élection de lieux. En sa compagnie, je chercherai à éclairer la ségrégation des femmes.
Radu Turcanu : « Famille, sacrée ségrégation »
OEdipe, la famille romaine (familia comme patrimonium), la famille « traditionnelle », la famille « recomposée »… Autant de portraits de ségrégation, quand la Loi se noue à la jouissance et aux corps. Et autant de liens ou rapports de parenté, idéalisés ou décriés, qui sont tous battus en brèche par le non-rapport mis en avant par Lacan. En effet, il n’y a que la psychanalyse pour rendre pas-toute la régulation de la jouissance chez chacun(e) à partir de la famille de signifiants et des affres familiales.
Bruno Geneste : « La cicatrice de l’évaporation du père »
En 1967, dans son « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Lacan avance que le propos recueilli par Malraux de la bouche d’un ecclésiaste, « J’en viens à croire qu’il n’y a pas de grandes personnes », « signe l’entrée de tout un monde dans la voie de la ségrégation » (Autres écrits, p. 369). Un an plus tard, il qualifie la ségrégation comme la « cicatrice de l’évaporation du père ». à partir d’un cas clinique, il s’agira d’examiner la portée de ces assertions en tant qu’elles affirment un nouveau mode ségrégatif et de relever en quoi « la mesure dans l’éthique » réintroduite par Freud permet d’y répondre.
Jérome Vammalle : « Jamais on a vu jamais on ne verra, la famille tortue courir après les rats »
Voilà donc (me disais-je en chantant cette comptine à ma fille) comment on s’y prend depuis toujours pour faire famille. On édifie des murs, en prenant au besoin pour modèle la nature, les espèces animales, au risque de faire consister les imaginaires ségrégationnistes de la race, de l’espèce. Sur les écrans, les « séries » prennent le relais. Les plus massivement suivies, comme Game of Thrones, interrogent et poussent loin les conséquences d’une atteinte des « structures élémentaires de la parenté », de la loi, identifiée au désir. Mais ce qui s’y démontre au bout de la longue description des impuissances des différentes familles (appelées « maisons ») à traiter cette atteinte irrémédiable, nous renvoie à l’actualité de l’effacement de la « limite ».
Nous abordons quelques faits marquants de cette actualité.
Discutants : Martine Menès et Marc Strauss.