Mensuel 009 – Octobre 2005

Introduction Luis Izcovich

La question de la famille moderne, avec ses remaniements et les nouvelles revendications concernant le mariage et la parenté, soulève avant tout la question de la transmission. Les avancées de la science en matière de procréation participent d’une façon cruciale à cette actualité. Les faits traversent notre contexte social et c’est pourquoi des sociologues, anthropologues, éducateurs, juristes et psychanalystes se penchent sur le problème. Cela revient à interroger la question qui concerne de façon éminente l’être humain, à savoir ce qui passe d’une génération à l’autre, et ce qui de cette transmission peut se maîtriser ou pas.
Le débat n’est pas nouveau et la psychanalyse a largement contribué à le poser, en considérant la portée décisive de la famille dans l’instauration de l’ordre symbolique. Après Freud, qui l’a anticipé avec l’introduction de l’Œdipe, et contrairement aux tenants de l’instinct maternel comme facteur essentiel de socialisation, Lacan établit dès son texte « Les complexes familiaux » l’articulation entre la famille et le lien social. Plus tard, sa reprise de l’Œdipe freudien termes de fonctions paternelle et maternelle démontre une constante dans son élaboration : extraire la famille de l’ordre naturel. Avec la primauté du symbolique, les efforts théoriques pour situer la apécificité de la famille humaine dégagée de toute référence à un modèle biologique paraissaient suffisants. Cela ne l’était pas pour Lacan qui produit une nouvelle articulation, fondamentale pour la Ihéorie et la conception de la famille, avec l’au-delà de l’Œdipe.
La question qui se renouvelle aujourd’hui est celle de savoir si la psychanalyse, face aux changements dans la famille classique, doit prendre position dans le social, renouveler sa doctrine théorique, actualiser sa pratique. Notons que les effets de la modernité se rent au niveau du discours et vont même jusqu’à la tentative d’effacer la notion de famille au profit du terme de « parentalité ». Doit-on déplorer la situation ou l’accompagner comme un progrès dans la lutte pour l’équivalence des droits ? Dans ce contexte, les psychanalystes doivent-ils rester les gardiens du temple, d’un modèle traditionnel de la famille, garant des valeurs éternelles, dénonçant la dégradation des mœurs et rappelant à l’ordre le sujet quant aux risques de dérives de ces changements ? Plus radicalement, il s’agit de savoir quelle est la voie de la psychanalyse.
Il n’est pas inutile de rappeler que Lacan en 1938, alors qu’il trouve dans le « déclin social de l’imago paternelle » l’origine d’une série de manifestations subjectives, conclut en même temps : « Nous ne sommes pas de ceux qui s’affligent d’un prétendu relâchement du lien familial(1). » Lacan, plutôt que de s’affliger, ou de faire preuve de nostalgie d’une époque révolue, va jusqu’à trouver une connexion entre le déclin du père et l’apparition de la psychanalyse à Vienne.
En effet, avec la procréation médicalement assistée, les PACS, la revendication du droit à l’adoption pour les couples homosexuels – qui dans les faits existe déjà -, nous sommes confrontés à des questions nouvelles, indices des remaniements dans les modalités de jouissance qui anticipent des nouvelles formes de symptôme.
Dans ce contexte, la psychanalyse aura sa place, à condition de séparer radicalement le discours analytique de toute empreinte idéologique ou religieuse. Lacan a tracé la voie, dès la leçon unique sur les Noms-du-Père, en introduisant la conception d’une pluralisation de ce nom, ce qui implique la mise en cause de l’Œdipe freudien et impose une exploration plus précise de la fonction paternelle. Ce numéro du Mensuel, tout au long de ses textes, aborde d’une façon implicite cette question, préparant ainsi au débat riche qui s’annonce pour nos prochaines journées de travail, les 8 et 9 octobre 2005 : « La parenté en question : Filiation, adoption, nomination ».

(1). Jacques Lacan, « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 60-61.

SOMMAIRE

* Dossier : Famille et parenté 
– Colette Soler : La mère dans l’inconscient
– Jean-Jacques Gorog : La psychose dans « les complexes familiaux »
– Olivia Dauverchain : La main passe
– Patrick Valas : La famille conjugale moderne

* Séminaire du champ lacanien 
– Marc Strauss : La famille : idéologie ou réel ?

* La parenté en question . Filiation, adoption, nomination Textes préparatoires aux journées européennes d’octobre 2005 
– Diego Mautino : Cinquièmes prolégomènes
– Mario Binasco : Sixièmes prolégomènes

* Lecture 
– Radu Turcanu : A propos de Champ lacanien, revue de psychanalyse n°2

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