Introduction : Mihaela Lazarov-Turcanu
Les articles de ce quatorzième numéro de notre Mensuel partagent un trait commun, la référence plus ou moins explicite à l’objet a, celui que Lacan lui-même appelait sa seule invention, mais qui traverse, comme nous le constatons à chaque fois, toute la clinique. C’est cet objet même, objet cause du désir, que le sujet place d’abord à l’endroit de l’Autre, mais qui se révèle être le reste réel de sa propre jouissance. Nous pouvons suivre, à la lecture des cinq textes réunis ici, le fil rouge de la question de l’objet a, à travers son destin dans la cure et, plus généralement, dans la civilisation contemporaine, mais également à partir de la manière dont Lacan a « fabriqué » cet objet, en s’appuyant en bonne partie sur la clinique de la perversion. Ces articles proviennent de trois lieux distincts d’élaboration et de débat dans notre communauté analytique : le séminaire d’École, le séminaire du Champ lacanien et l’après-midi des cartels de l’automne 2005. Les cinq auteurs traitent en priorité des thèmes divers : la tension entre jouissance et angoisse ; puis entre jouissance et satisfaction, voire satisfraction ; l’écart entre névrose et perversion pour ce qui est de l’abord du fantasme ; ou encore l’offre faite par l’analyste à l’analysant. Néanmoins, malgré les différences de style et de conceptualisation, ils témoignent tous, entre autres, de cette place centrale de l’objet a dans la psychanalyse.
Patrick Barillot propose un commentaire sur « la vérité menteuse » et « la satisfaction qui marque la fin de l’analyse », évoquées par Lacan. Il montre que dans l’analyse, justement à propos de l’objet a, le fantasme est à la fois vrai et trompeur. Alors qu’à la fin de l’analyse, la levée du refoulement devrait permettre au sujet de saisir « l’impossibilité de jouir pleinement », et par là d’accéder autrement à la jouissance dont il se défendait précédemment, ce que la passe peut authentifier.
Armando Cote nous fait part de son expérience de passeur par une référence à la métaphore du passeur des frontières, mais aussi en nous rappelant la Lettre volée, « cette lettre, en tant qu’objet qui se glisse dans le dire du passant et qui fait son chemin par le passeur pour arriver au cartel, son destinataire ». Dans cette « pure rencontre », il est question d’une satisfaction sous la forme d’une effraction accomplie par le sujet et destinée à « extraire du langage “cette lettre-objet” qui lui appartient ».
Colette Soler apporte des éclaircissements sur le statut de l’objet a, relevant « de la logique de la cure », ainsi que sur le maniement de cet objet, explicité par la phrase : « Je refuse de t’offrir ce que tu me demandes parce que ça n’est pas ça. » Ce statut et ce maniement, liés intrinsèquement à la psychanalyse, ne peuvent qu’angoisser notre civilisation de production et de consommation de gadgets, véritables leurres à la chaîne, alors que « le seul objet qu’on ne peut pas perdre, c’est justement l’objet-manque ». Ainsi, l’offre de l’objet a par l’analyste à l’analysant « a une face paradoxale de refus, refus de tous les tenants-lieu en tout cas ».
Annie Claude Sortant-Delanoë suit la trace de l’objet a dans le Séminaire X de Lacan sur l’angoisse. Elle le définit comme « moment où la jouissance n’est plus, et où naît l’angoisse ». Chez le sujet pervers, on peut lire distinctement ce « lien radical de l’angoisse à l’objet en tant qu’il choit », car le pervers « se fait objet a pour rendre à l’Autre ce dont il aurait été décomplété par l’entrée dans le langage ». Cependant, le sujet névrosé, pour retrouver le chemin du désir, cet objet de jouissance chu, et passé le moment d’angoisse, ne peut que faire appel à l’amour en tant que médiateur.
Quant à Vincent Zumstein, il s’intéresse dans son article au rôle de l’objet en tant que fétiche. Même un simple éclat sur le nez, comme dans le fameux exemple de Freud, s’il prend valeur de fétiche, habille « un manque au cœur du sujet ». Comme pour le sujet névrosé, ce trait de perversion soutient le fantasme, mais pour le fétichiste l’objet n’est pas voilé, il est image sur le voile de l’objet qui manque.
Voilà donc les articles de ce premier numéro du printemps. Ils nourrissent, chacun à leur façon, notre réflexion sur les différents thèmes mis au travail cette année.
Séminaire d’École
– Patrick Barillot : Quelle satisfaction marque la fin d’analyse ?
– Armando Cote : La satisfraction de la fin passe par la lettre
Séminaire Champ lacanien
– Colette Soler : Pertes et profits
Extraits des après-midi des cartels
– Annie Claude Sortant-Delanoë : L’angoisse, nécessité logique entre jouissance et désir
– Vincent Zumstein : Jouissance et objet a avec l’exemple du fétichisme