Mensuel 024 – Avril 2007

Introduction

Par Radu Turcanu

D’Un sujet à l’Autre

Comme ce fut déjà le cas cette année, le présent numéro du Mensuel nous propose quelques textes stimulants à propos du thème choisi pour notre Seminaire Champ lacanien : « Le sujet de la jouissance ». Nous y trouvons des contributions par lesquelles chaque auteur inscrit sa façon de penser la psychanalyse. Leur réunion dans ce Mensuel fait causer. C’est une causerie donc que je vous propose dans cet éditorial, à partir de ces efforts de penser le difficilement pensable, si ce n’est l’impensable : 1. le sujet 2. de la 3. jouissance. Et j’en suis sûr, vous allez vous dire à la fin de la lecture de ce numéro que la question est beaucoup plus compliquée qu’on ne l’imaginait.

Le débat lancé dans notre École à ce propos est d’autant plus méritoire qu’il fait pendant subversif à la mode contemporaine qui contamine aussi les psychanalystes, lacaniens ou pas, et qui veut que le sujet courre de façon à la fois effrénée et burlesque après sa, ou ses jouissance(s). Alors que c’est le contraire qui est plutôt vrai, car le sujet est toujours effet, dans le sens d’effectuation et d’effectivité. Les auteurs qui signent dans ce Mensuel abordent ces aspects tout en s’appuyant sur les diverses formulations de Lacan. Ils essaient ainsi non seulement d’éclairer ces formules, mais aussi de rendre compte de leur aspect apparemment contradictoire, selon les diverses époques de leur énonciation.

Si c’est la jouissance qui court après le sujet, c’est qu’elle crée aussi son sujet. De plus, si cette course ne se fait pas selon une loi, celle du désir, impliquant donc l’opération du signifiant, l’appareil où ce travail est censé être efficace finit par rattraper sa proie. La jouissance anéantit son sujet et déchire le corps, là où le sujet est son corps de façon radicale, sans reste. Ainsi, l’objet, ou l’organe, a raison du sujet, et dans la triade signifiant, jouissance, sujet, où les deux premiers semblent matérialiser les causes du dernier, ses deux origines pour ainsi dire, il ne reste que la dualité des causes. L’une engendre l’autre dans une métonymie sans fin, mais aussi sans la création de l’effet métaphorique qui est l’effet sujet.

C’est ici que la question du sujet de la jouissance reste sans réponse, car le sujet ne prend pas la jouissance à son compte, et celle-ci se présente sous la forme de la jouissance de l’Autre, un Autre qui existe uniquement par le fait qu’on lui attribue cette jouissance.

Par contre, si le sujet prend en charge la jouissance, ou le a, il le fait selon la loi du désir, même s’il dépasse cette loi une fois qu’il s’en est servi. Nous pouvons donc parler de l’opération du signifiant et de l’appareil (des appareils) de jouissance, mais sans privilégier l’un des deux.

L’Un (idéal) sans l’Autre (incarné), c’est la machine, biologique ou pas, l’Autre avec l’exclusion de l’Un c’est l’exception psychotique. C’est donc grâce à un Autre (1 + quelque chose), en fin de compte un « Autre symptomatique », selon les heureuses expressions de Bernard Nominé, que l’effet sujet est une métaphore où s’incarne le signifiant, naissance d’un corps mais aussi création d’un sujet.

Un sujet qui est donc assujetti à la jouissance, comme sujet de la jouissance, mais aussi au signifiant, comme étant aussi du signifiant. Ces causes du sujet ne sont pas des causes concurrentes ou exclusives l’une par rapport à l’autre. Elles ne fonctionnent pas non plus selon le principe des vases communicants. Entre le vide que réalise l’Un de par sa fonction, et le trou qu’est l’Autre sexe, pris sur le corps, il n’y a pas de rapport. Il y a éventuellement lien, d’amour, « rapport… constructif du sujet au réel », comme le suggère Luis Izcovich.

Albert Nguyên, tout en traçant avec précision les plis du voile qu’est la question de l’identité, nous entretient également de l’amour, un amour « identifié » qui rend compte d’une différence radicale.

À son tour, Jean-Claude Coste nous invite à une expérience, aventureuse, de l’objet a, objet appelé par Lacan « fatidique », comme nous le rappelle Géraldine Philippe, qui aborde la question de l’objet a à la fois par rapport a notre civilisation et à la cure analytique.

Alors que Marie Olmucci essaie de nous surprendre par l’un des postulats qu’elle avance : « psychanalyse et science, même combat ».

Ne manquez pas le délice « grammatical » que nous propose Claude Léger, qui nous rappelle que derrière ce que l’on crie (l’aigu), il y a forcément ce que l’on passe sous silence (le muet). Et qu’en même temps cela est, encore une fois, plus compliqué qu’on ne le pense, car c’est à mettre du côté de l’existence. 

Sommaire

Séminaire Champ Lacanien
– Luis Izcovich – L’appareil de la jouissance.
– Bernard Nominé – Le sujet, ses jouissances et l’Autre.

Journées sur l’objet a 
– Jean-Claude Coste – Les aventuriers de l’objet perdu.
– Géraldine Philippe – Le sujet prend sa référence de l’objet a.

Autre texte
– Marie Olmucci – Psychanalyse et science : fantasme ou malentendu ?

Introduction aux journées de l’EPFCL de décembre 2007
L’identité en question dans la psychanalyse
– Albert Nguyên – Note 3 : Identification d’une identité.

Chroniques
– Claude Léger – Des nouvelles de l’”immonde” 4 : De l’orthographe.