Introduction
Par Marc Strauss
À quoi obéit-on ?
À ceux qui, comme cette analysante, se reconnaissent dans la confidence d’une de ses amies qui, lorsqu’elle avait un coup de blues, ouvrait Lacan à n’importe quelle page et se sentait mieux dès après la lecture de quelques lignes.
Partons de ce que nous dégageons comme un dire de Lacan : il n’y a pas de rapport de sujet à sujet. Il n’y a que la matrice du discours dans laquelle le sujet se constitue comme tel. Et de discours, il en est quatre.
Une foule de questions se lève alors : pourquoi quatre ? qu’est-ce qu’une parole hors discours ? quel est le statut du discours de la science ? qu’est-ce qui fait la singularité d’un sujet et la nouveauté du discours de l’analyste ? Etc. À ces questions Lacan a-t-il répondu, ou permet-il de répondre ? C’est ce que les Journées de novembre diront. Et d’abord en nous entendant sur les formules précédemment énoncées, qui font le socle de notre savoir, où nos questions trouvent leur pertinence.
En premier lieu, que veut dire être pris dans un discours ? Cela signifie n’exister que du fait de s’inscrire dans un ordre, d’obéir à l’agent de ce discours. Cet agent se trouve ainsi seul à avoir dans chaque discours une existence injustifiable – ce qui ne l’empêche ni d’être soumis aux contraintes que lui impose la place qu’il occupe, ni d’être contesté dans son apparente suprématie à partir d’un autre discours.
Le discours premier, celui que Lacan dit être celui de l’inconscient, est le discours du maître. Ce maître, est-ce d’abord le quelqu’un qui en occupe la place, ou ce quelqu’un ne fait-il que prêter son corps à l’incarnation de la loi, en elle-même indépendante de celui qui la supporte ? On peut voir là les développements de Kantorowicz sur les deux corps du roi, mais aussi la question freudienne du père. Un père qui donne corps à la fonction inscrite dans le discours de l’Autre, un père aussi qui est fautif au regard de la loi même qu’il est censé représenter.
Ce discours se supporte donc d’une contradiction insoluble et par là féconde, pointée ainsi par Lacan dès ses Complexes familiaux.
Et si le sujet veut y échapper, il se retrouve à devoir choisir entre Brutus, qui certes aime César mais préfère ses principes républicains, et Antoine, qui met en avant l’amour de César au détriment de son attachement aux principes. Ainsi, depuis l’apparition du discours universitaire, le sujet moderne est confronté à deux échappées possibles : l’hystérique ou l’universitaire. Cela ne lui facilite pas la réponse : qu’il n’arrive pas à choisir l’une ou l’autre et préfère la débilité, ou au contraire s’inscrive dans l’une ou dans l’autre, il ne fera qu’apporter sa collaboration au discours du maître, en renforçant le versant qui a sa préférence.
Mais, qu’il soit soumis au maître, y objecte dans l’hystérie, s’en défile à l’université, le sujet est seul. Seul au sens où il ne peut s’autoriser de personne pour justifier le choix du discours dans lequel il se range ; il ne peut répondre qu’à partir de lui et s’autoriser de la place qu’il y occupe, relative aux trois autres. Ainsi, avoir des frères en discours n’empêche pas la solitude : ce n’est que par communauté, c’est-à-dire médiation de discours, que l’on est relation, et non par un rapport de sujet à sujet.
Depuis Freud, le sujet n’est plus seul. Ou plutôt, il dispose d’une nouvelle manière de n’être plus seul, donc d’aimer. Il peut en effet avec la psychanalyse penser sa peur et sa solitude puisque Freud l’a fait avant lui et en a rendu compte bien autrement que ne l’avait tenté la religion, qui sur ce chemin l’avait largement précédé. Il les a pensées à partir d’un crime inaugural, qui est en même temps paradoxal puisque, si le crime normalement retranche de la communauté, celui qui l’a occupé était constitutif de celle-ci. Et il les a pensées avec les hystériques, dont le symptôme signait le refus de la communauté du mensonge, le refus de l’oubli.
Lacan a rendu à ce crime son statut de mythe, destiné à assurer la constitution d’une communauté d’hystoire qui identifie le sujet au groupe. Et il a montré que, derrière l’écran de ce rêve qui justifie tant de folies, et comme l’avait pressenti Freud, le sujet reste sans partenaire autre qu’une impossibilité radicale. Lacan a aussi essayé de faire cette solitude vivable pour ceux qui ne se satisfont pas de rêver mal et qui, au contraire de vouloir rêver mieux, affrontent cet état de fait. Vivable, en leur donnant à son tour le moyen de la penser, avec d’autres, dans une forme inédite jusqu’à lui. Vivable aussi en refondant ainsi le statut de l’amour. Une séparation s’impose en effet, dont les avatars plutôt ratés font notre clinique, voire notre vie quotidienne. Reste à dire laquelle. Car n’y a-t-il pas une forme d’ironie à voir perdurer indéfiniment l’increvable ritournelle de la séparation d’avec la mère lorsqu’elle se pare du plus up to date des élaborations sur lalangue ?
Les vraies conséquences cliniques de cette politique qui ne fait pas unité d’un rêve ? Venez donc aux Journées de novembre, et en attendant nous vous invitons à lire ce Mensuel qui témoigne de la vivacité de nos échanges en publiant six textes de nos séminaires de l’an dernier, ainsi que les quatre présentés lors de l’après-midi des cartels, sans omettre les nouvelles de « l’immonde ».
Sommaire
Marc Strauss : Introduction : À quoi obéit-on ?
Séminaire Champ lacanien 2007-2008 : Éthique et discours
Albert Nguyên : L’exigence du dire
Anne Le Bihan : Le discours analytique promet-il quelque chose au sujet ?
Claire Harmand : Une éthique avec l’objet a
Séminaire École 2007-2008 : Variations sur le symptôme
Rithée Cevasco : La radicalité de l’invention lacanienne du réel.
Lecture du Sinthome
Sol Aparicio : Un symptôme particulier ou singulier ?
Séminaire École 2007-2008 (Rennes) : Le temps de l’adolescence
David Bernard : Le savoir de l’adolescence
Travaux des cartels
Marc Strauss : Le réel de la science, le réel de la psychanalyse
Fabienne Guillen : La présence du psychanalyste
Michel Formento : Discours analytique et discours de la science…
tâtonnements
Chronique
Des nouvelles de « l’immonde » n° 15
Claude Léger : De l’addiction sans substances