Billet de la rédaction
En avril… Ne te découvre pas d’un fil ! Le fil que tout clinicien tente de tenir, celui que nous cherchons à dégager, qui nous lie à la psychanalyse, à cette éthique qui nous soutient dans la place que nous tenons au sein des institutions où nous intervenons.
Un fil que nous tricotons, mais dont le maillage parfois bute sur ce rouleau compresseur à l’œuvre dans certains établissements, où le discours du maître prend les formes d’un projet sécuritaire, normativant et massifiant, délayé dans un disque-court calqué sur les concepts de l’entreprise et du management. À cet égard, il faut noter que depuis quelques années le signifiant « projet » est au cœur du discours capitaliste. Ève Chiapello et Gérard Boltanski montrent que le signifiant « hiérarchie », qui venait en tête des mots employés dans des ouvrages de management des années 1960, a complètement disparu des années 1990, pour être largement supplanté par celui de « projet (1) ». Un signifiant auquel nous ne pouvons rester sourds, mais dont nous devons épingler les semblants. Sous des apparences de bonne âme, il trouve sa légitimité en inscrivant son dessein au nom du bien de celui à qui il s’adresse, en brandissant une hypothétique adéquation entre les besoins des usagers et la réponse à y apporter. Les institutions de soins, sociales ou scolaires croulent sous les projets et les protocoles.
Face à la demande de l’institution qui doit montrer qu’elle reste productive et rentable, reste la souffrance qu’elle accueille. Comment poursuivre notre tricot, maille après maille, en se soutenant d’un discours psychanalytique ? Comment interroger l’institution afin qu’elle laisse toujours une place à la singularité du symptôme, cet indice d’une vérité énigmatique ? Est-ce en repérant ce réel, cet « expulsé du sens (2) » qui, lui, reste impossible à dompter par tout projet ?
Nous le verrons dans ce Mensuel : du psychanalyste et l’institution, telle est la question. Ne sommes-nous pas face à une « antinomie » ? Plutôt que du psychanalyste, est-ce que l’on ne peut pas parler d’un discours psychanalytique qui « circule », ou qui « oriente » ? Ainsi, le clinicien orienté accepte d’« entendre la jouissance » qui envahit le sujet. Car c’est en se laissant enseigner par le sujet que la clinique des psychoses trouve à se construire, pour ceux que les effets du réel obligent à se tenir un temps en marge de la société.
Depuis 2009, le Réseau institution et psychanalyse offre à interroger notre pratique en institution. Ainsi, parce que la rencontre du psychanalyste et de l’institution ne se fait que sur un ratage, je vous laisse découvrir comment chacun tente de cerner ce qui est à l’œuvre. Enfin, en ouverture de ce numéro, le lecteur pourra apprécier com- ment, à la veille des dernières élections présidentielles, notre collègue Michel Bousseyroux présentait « l’objet kleinien », qui n’est pas celui qu’il imagine et lui réserve bien des surprises !
M.-T. G.
(1). L. Boltanski et È. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
(2). J. Lacan, R.S.I., inédit, leçon du 11 mars 1975.
Sommaire
Billet de la rédaction : En avril…
Michel Bousseyroux : L’objet kleinien et la passe
Réseau institution et psychanalyse (RIP) 1re Journée d’étude et de travail « Y a-t-il du psychanalyste en institution ? »
- Jean-Pierre Drapier, Ouverture
- Lina Velez, De l’institution et du discours analytique
- Manuelle Krings, La supervision d’équipe de soins. « Quand au moins un dans l’équipe… »
- Henri de Groote, Introduire un temps pour comprendre dans le cadre du système scolaire
- Martine Fourré, Échec d’une transmission
- Nicolas Zorbas, CAPA : le temps de construction d’un espace analytique ?
- Intervenants du CAPAO, La cure en institution : que dire de l’expérience ?
- Isabelle Cholloux, Murmures et hurlements
Chronique
- Claude Léger Petits riens