Billet de la rédaction Impudentia
« Du nom de fierté noble on orna l’impudence,
et la fourbe passa pour exquise prudence. »
Boileau, Sat. XII
Ah ! l’impudence, terme que Lacan emploie peu mais qui, justement, mérite peut-être qu’on s’y arrête un instant. Dans la définition qu’en donnent et Le Robert et Le Littré, ce mot est toujours associé à son pendant : la honte. « Effronterie audacieuse, culot, hardiesse extrême, aplomb » dit le premier, le second mentionne : « Manque de ce qui fait la bonne honte », tout en précisant qu’il vaut mieux être impudent que honteux, c’est « fâcheux » d’être honteux.
Cependant, tous deux précisent qu’il s’agit d’actions ou de paroles impudentes et c’est sans doute sur ce point que nous y sommes intéressés. L’impudence convoque à la fois le dire et l’acte, car un dire peut être un acte et un acte un dire.
Quel plus bel exemple d’impudence que celle de Joyce, notamment avec son Portrait de l’artiste en jeune homme ? The Artist as a Young Man, en anglais, nous fait bien sentir combien le The montre l’universalité. Il est L’artiste, au sens où il les dépasse tous ; il est au-dessus du lot.
« Je suis l’artiste » est un dire qui ne demande rien à personne, il ne requiert pas l’Autre.
Dans la conférence « Joyce le Symptôme (1) », Lacan en fait mention : « Joyce, lui, voulait ne rien avoir, sauf l’escabeau du dire magistral, et ça suffit à ce qu’il ne soit pas un saint homme tout simple, mais le symptôme ptypé. » L’impudence de Joyce est là, avec son escabeau du dire magistral : The artist, qu’il est sur sa hauteur, c’est son nom et c’est son être. Le dire magistral, c’est son impudence. (Il est le symptôme petit p et typé à la fois, sinthome, sans p.) Refus de la honte chez Joyce.
On peut retrouver dans l’article (2) que Lacan écrit pour le journal Le Monde – en date de février 1969 – une référence à l’impudence mise au compte de l’analyste : « Fructueuse impudence de produire la vérité : celle- ci d’abord qu’elle seule nécessite un travail. C’est le travail qu’il faut pour faire l’identification de l’homme […] ».
Voilà ce qu’est une analyse : l’analyste, par son dire impudent, devant porter ses fruits, fait surgir la vérité du sujet, la vérité du trou. On le voit, c’est presque une redondance que d’écrire un dire impudent, car le Dire est, par définition, si on suit bien Lacan, impudent. Il est un acte. C’est ainsi que j’y mets une majuscule. En effet, il est à mettre au même plan que le The, majuscule, de l’artiste, il n’admet pas l’Autre.
On retrouve dans le séminaire L’Envers de la psychanalyse cette question du dire de l’analyste (3). En effet, Lacan y définit le travail de l’analyste : « C’est de faire fonctionner son savoir en terme de vérité. » Et de reprendre la formule de Freud Wo es war, soll Ich werden, pour la faire passer du côté de l’analyste. L’analyste n’est pas là pour lui-même, il est là, en fonction, sans sa personne, il n’est plus sujet dans son exercice, c’est-à-dire dans son acte, quand il interprète, quand il « profère ». Et Proférer, n’est-ce pas de l’impudence ?
« C’est là où c’était le plus-de-jouir, le jouir de l’autre, que moi, en tant que je profère l’acte analytique, je dois advenir (4). »
Ainsi, en ouverture de ce Mensuel de février, vous trouverez trois textes préparatoires au rendez-vous de Rio, Que répond le psychanalyste ? Éthique et clinique, suivis des cinq premières interventions au séminaire Champ laca- nien, « Les principes du pouvoir », et pour terminer la retranscription de la rencontre entre Érik Porge et Michel Bousseyroux ayant eu lieu à Paris en novembre.
J. M.
1. J. Lacan, « Joyce le Symptôme », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 567.
2. J. Lacan, « D’une réforme dans son trou », non paru.
3. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 59.
4. Ibid., p. 59.
Sommaire
Billet de la rédaction : Impudentia
Rendez-vous international de l’IF
Que répond le psychanalyste ? Éthique et clinique 6-9 juillet 2012 à Rio
- Sonia Alberti, Les discours et le symptôme
- Colette Soler, Préliminaire
- Carmen Gallano, Se faire au réel, clinique et éthique
Séminaire Champ lacanien 2011-2012, Les principes du pouvoir
- Stéphanie Gilet-Le Bon, Les principes du pouvoir selon les discours
- Jean-Pierre Drapier, Principes du pouvoir vs pouvoir des principes
- Carlos Guevara, « La psychanalyse au chef de la politique »
- Claude Léger, Sade après Lacan
- Frédéric Pellion, « Tout ça… Pour ça ! » (La psychanalyse a-t-elle perdu de son prestige ?)
Rencontre
- Débat sur les questions de la passe et de la fin d’analyse – Autour des livres d’Érik Porge, La lettre du symptôme. Version de l’identification, et de Michel Bousseyroux, Au risque de la topologie et de la poésie. Élargir la psychanalyse