Ouverture
In limine mors est.
« La mort est sur le seuil. »
Francesco Petrarca, Africa, I, 309
Chers « épars désassortis 1 »,
Quelque ambigus que puissent être les vœux, comme le montre bien le Wunsch freudien, je vous souhaite au nom de l’équipe du Mensuel une excellente nouvelle année analytique, pleine de lectures, de débats, de réflexion et d’échanges. Qu’elle nous apporte des conditions favorables à nos rencontres et nous épargne les affres de la visioconférence !
Voici donc notre premier petit livre rouge de l’année 2022. Il apporte d’une part la moisson de nos activités passées, telles que la séance du 18 novembre 2021 du séminaire École autour d’un passage de la question VI de Télévision, avec les textes de Luis Izcovich et de Bernard Lapinalie. Mais il sème aussi les germes des rencontres à venir : Colette Soler nous fait cheminer vers le XIe Rendez-vous international, initialement prévu en 2020, qui se tiendra à Buenos Aires du 29 juin au 3 juillet 2022 et aura pour thème le « Traitement du corps dans l’époque et dans la psychanalyse ».
Si vous avez échappé aux indigestions des agapes de fin d’année et que vous n’êtes pas encore repus des hystéries qui ont occupé une grande part de nos débats au cours de la fin de l’année passée, vous y trouverez aussi, dans les rubriques « D’un pôle à l’autre » et « Produits des cartels », des contributions qui se répondent autour de ce thème : de celle de Pantchika Doffémont qui met en lumière la guise de l’hystérie qu’est ladite sorcellerie, à celles d’Armando Cote et de Dominique Champroux sur le discours hystérique tel que Lacan l’élabore. Au cours de nos journées a été posée, entre autres, la question des formes contemporaines de l’hystérie : si l’hystérie est absente du DSM-V, a-t-elle pour autant disparu du champ clinique ?
Un article publié sur le site internet du journal Le Monde le 11 novembre dernier, intitulé « Les manifestations du “Covid long” ne seraient pas forcément liées à l’infection par le SarS-CoV-2 », évoque une étude épidémiologique publiée par la revue JAMA Internal Medicine. Cette étude montre que « d’un point de vue statistique, c’est la conviction d’avoir été infecté par le SarS-CoV-2 qui est liée aux symptômes du “Covid long”, plus que le fait d’avoir bel et bien été infecté 2 ». Il serait hâtif d’y voir d’emblée des symptômes hystériques. Mais il n’en reste pas moins que ces patients, qui disent souvent ne pas être pris au sérieux par la communauté des médecins, adressent au savoir médical une question, font voir à la médecine leur corps comme expression d’une souffrance. De quelle souffrance s’agit-il ? On ne peut y répondre qu’au cas par cas. Toutefois, notons qu’avoir eu la maladie est le meilleur moyen de s’en protéger puisqu’on est alors, au moins pour un temps, « immunisé ». Angoisse de mort donc, indissolublement liée à l’humaine condition, mais plus oppressante encore dans ce contexte de la pandémie où la mort, plus que jamais, se tient, comme le dit le poète Pétrarque, « sur le seuil » (in limine 3). N’avons-nous pas été sommés, au cours du premier confinement, de « rester chez nous » pour « sauver des vies » ?
Comme le rapporte l’article, l’étude réfute d’ailleurs le qualificatif d’imaginaire pour ces symptômes. Il semble bien paradoxal qu’à notre époque ce soit la médecine somatique qui soit prête à prendre en compte des symptômes que ni la biologie ni l’imagerie ne parviennent à objectiver, des symptômes subjectifs donc, pendant que dans le domaine psychique, les chercheurs persistent à vouloir associer les maladies psychiques à des marqueurs biologiques ou génétiques et qu’ils consacrent tant d’énergie à identifier le gène de la schizophrénie plutôt que d’écouter, comme le faisait Lacan, ce que dit un schizophrène. Comme le rappelle celui-ci dans le séminaire …Ou pire (texte que vous retrouverez dans la rubrique « Fragments » à la fin de ce numéro), « ce n’est pas parce que c’est biologique que c’est plus réel. C’est le fruit de la science qui s’appelle biologie. Le réel, c’est autre chose 4 ».
Un Mensuel donc à dévorer sans modération. Bonne dégustation !
Laure Hermand-Schebat
Sommaire
Ouverture
Séminaire École
« J. Lacan, Télévision, Question VI »
Séminaires Champ lacanien
« Les formes actuelles de la censure »
Écho
D’un pôle à l’autre
- Pantchika Doffémont, Hystérique, on la dit sorcière ou possédée
- Catherine Talabard, De la position hystérique à la position féminine
- Virginie Peyragrossse, Du discours de l’hystérique au discours de l’analyste
Et entre-temps…
Produits des cartels
- Claire Parada
- Claire Christien-Prouet, Vienne 1895. Freud et le savoir de l’hystérique
- Frédérique Decoin-Vargas, L’hystérique, maître du jeu
- Armando Cote, Fonction du discours de l’hystérique
- Dominique Champroux, Le discours de l’hystérique et l’entrée en analyse
Centres d’accueil psychanalytique (CAP)
XIe Rendez-vous de l’IF-EPFCL, Buenos Aires, 29 juin-3 juillet 2022
« Traitement du corps dans l’époque et dans la psychanalyse »
Prélude
Fragments
Bulletin d’abonnement
Anciens numéros
- 1. J. Lacan, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 573.
- 2. Le Monde, 11 novembre 2021, article de Stéphane Foucart et Pascale Santi : https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/11/les-manifestations-du-…
- 3. Pétrarque, L’Afrique, vol. 1, trad. P. Laurens, Paris, Les Belles Lettres, p. 18-19.
- 4. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIX, … Ou pire, Paris, Le Seuil, 2011, p. 30.