Mensuel 157 – Février 2022

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Ouverture

Vichy, le 31 décembre 2021
À ceux qui ouvriront les pages de ce nouveau
Mensuel,

Le Mensuel est comme le lieu où se recueille le produit de ceux qui se livrent à la discipline du commentaire, écrit Alexandre Faure dans l’Ouverture du numéro de février 2021 1. C’est aussi le lieu de recueil des témoignages de ceux qui viennent dire ce qui les pousse à filmer, à écrire, à créer… Le Mensuel fait écho aux mouvements de pensées de notre école de psychanalyse et de ce qui gravite autour.

Puisqu’il est question dans les thèmes qui alimentent les textes de ce Mensuel du traitement de la parole, des dits, du signifiant donc, de ce qui se dit, de ce qui se lit ou encore de ce qui ne peut pas se dire… de ce qui peut faire censure, je me permets d’évoquer ici un fait qui peut être classé comme un fait divers. Un fait banal somme toute…

Le président de la République est venu dernièrement en déplacement à Vichy. Une première qui a fait parler les journalistes. Accompagné par Beate et Serge Klarsfeld, il a déambulé dans la ville, s’arrêtant, se recueillant dans différents lieux symboliques. C’est une reconnaissance publique du poids de l’histoire, de sa complexité dans cette ville particulière. Vichy est une ville témoin, une ville qui porte le tragique de l’histoire, mais contrairement à d’autres villes témoins comme Oradour-sur-Glane ou encore Oswiecim en Pologne, le poids de ce tragique ne se transmet pas dans ce qui est encore visible, observable. Il se transmet dans le récit des événements, dans le récit de l’histoire, même s’il existe des documents d’archives bien visibles. C’est un peu comme si une carte invisible à l’œil nu venait se superposer sur le plan cadastral de la ville pour y raconter autre chose. Un récit.

Que demande le maire de Vichy à cette occasion ? Il n’est pas le premier maire d’ailleurs à le faire. Il demande que le gouvernement fasse exemple pour ne plus employer le signifiant « régime de Vichy » et le remplacer par « régime de Pétain ». C’est comme un caillou dans la chaussure des maires de la ville, ce « régime de Vichy ».

Ça n’a l’air de rien, cette demande, juste un changement de signifiant. Sur quoi porte la censure ? Car c’en est bien une ! La censure porte sur un signifiant maître de notre histoire, de notre culture : « régime de Vichy »… signifiant né de la contingence des événements. Il vient opérer dans le discours comme principe de lisibilité qui est aussi un principe d’ordre, je cite Colette Soler : « Il [le signifiant maître] permet de saisir, dans ce qui se dit ou dans ce qui se passe, où ça va, qu’est-ce que ça vise, comment c’est ordonné 2. »

Comment opère cette censure ? La censure opère par la dégénérescence du signifiant maître. Cette « dégénérescence du signifiant maître » est un diagnostic que pose Lacan dans L’Envers de la psychanalyse 3 et que Colette Soler déplie dans un article du numéro 58 du Mensuel 4… Il faut le lire ou le relire ! En quoi consiste cette dégénérescence ? Au fait qu’un nom propre vienne prendre la place d’un signifiant maître, lui enlevant son principe de lisibilité.

Il me semble que cette dégradation du signifiant maître est une forme actuelle de la censure. En effaçant le nom de la ville de Vichy pour mettre le nom de Pétain, ce switch opéré par la censure livre un nom, un auteur, avec la honte qui l’accompagne, rejoignant la culture du nom de notre époque : « Cette dégénérescence touche évidemment à “l’être pour la mort” qui désigne la fonction instituante du signifiant maître 5. » En effet, « régime de Vichy » permet de penser le monde, la barbarie, la mort. Ce signifiant maître reste au plus près d’un réel, il le borde. Vichy a un devoir de mémoire. Encore faut-il supporter cette approche du réel, ce qui n’entre pas dans les valeurs du discours capitaliste – là est sans doute le ressort de la demande.

L’approche de ce réel dans le cadre des productions de l’industrie cinématographique peut générer différentes formes de censure : l’être pour la mort, ça n’est pas vendeur à l’ère de la consommation générée par des platesformes telle Netflix. C’est ce qui est passé dans le témoignage de Costa-Gavras, invité en octobre au séminaire du Champ lacanien – je vous renvoie au Mensuel précédent, avec le texte de Camilo Gomez 6. Ce que démontre Danièle Brun, invitée en décembre dans ce même séminaire, c’est la force de l’autocensure face à cet impossible à dire, à ce qui n’est pas chiffré dans l’inconscient, c’est-à-dire la mort, le sexe. Costa-Gavras avait déjà insisté sur le poids de l’autocensure. Constatons que ce n’est pas sans effet sur la création : dans le cinéma ou le théâtre, dans la littérature avec Danièle Brun. Vous trouverez dans ce numéro deux textes sur ce moment d’échange.

La clinique des névroses nous ramène immanquablement à ce trou dans le sens : pourquoi la vie, pourquoi la mort ? Ou encore, suis-je un homme ou une femme ? Finalement, peut-on dire que le sujet par essence est en proie à la censure ? Le thème des collèges de clinique de cette année, « Qu’est-ce qu’une clinique psychanalytique ? », est propice à déployer la particularité de la psychanalyse dans la position qu’elle prend avec le réel.

À lire ou à relire dans ce Mensuel et dans ceux qui le précèdent.

Emmanuelle Moreau

Pdf du Mensuel

Sommaire

Ouverture

Séminaire École
« J. Lacan, Télévision, Question VI »

Séminaires Champ lacanien
« Les formes actuelles de la censure »
Écho

Et entre-temps…

D’un pôle à l’autre

Arts et psychanalyse

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