Ouverture
Se sèment alors des inintégrables dans l’audition chaotique du monde. Se tassent dans l’âme toute neuve les corps étrangers de ce que le nourrisson n’a pas compris auprès de ceux qu’il a affectivement (sinon sémantiquement) appréhendés. Richissime sédimentation de couches signifiantes et de couches énigmatiques. C’est ainsi que tout un tas de résidus inintelligibles sont empilés au fond de chacun de nous comme le sont les livres dans la chapelle de l’Énigme.
P. Quignard [1]
Si « certains livres deviennent la matière vive du lecteur pour le reste de sa vie [2] », il est des écrits, des articles que l’on garde longtemps ; lus et relus, manipulés, travaillés, phrases soulignées, mots entourés, qui ouvrent souvent vers de nouvelles lectures. Il est aussi des occasions de rencontres, nombreuses dans l’École, qui permettent d’entendre des collègues, ce qu’ils construisent et ce qu’ils lisent. En témoignent les dernières Journées nationales à Toulouse, les rendez-vous internationaux, les journées préparatoires dans les régions. Ainsi la Journée nationale des cartels a-t-elle permis cette découverte du dernier livre de Pascal Quignard.
« Ouverture » sera donc le maître mot de ce préambule. Préambule passé depuis quelque temps du « Billet de la rédaction » à « Ouverture ». Ce changement de terme permit cette proposition d’écriture à une élue-déléguée [3] (en fin de mandat)… Occasion saisie de dire quelques mots de cette fonction qui n’est pas de tout repos et se confronte aux difficultés et aux enjeux propres à toute formation collective et à la mobilisation du désir que cela suscite.
« Néanmoins le discours psychanalytique (c’est mon frayage) est justement celui qui peut fonder un lien social nettoyé d’aucune nécessité de groupe », nous dit Lacan dans « L’étourdit », et d’ajouter : « Je mesure l’effet de groupe à ce qu’il rajoute d’obscénité imaginaire à l’effet de discours » ; puis : « Aucune objection là à la pratique dite de groupe, pourvu qu’elle soit bien indiquée [4] . »
Mais la fonction s’avère nécessaire pour contribuer à faire vivre et maintenir vivace le lien à l’École, ainsi que le lien à la cité « les portes [des pôles y] étant largement ouvertes [5] ». Elle devrait aussi participer, cette fonction, « à la tâche de soutenir le transfert de travail », citation prélevée à dessein dans la « Présentation des Collèges de clinique psychanalytique », la Charte de l’IF-EPFCL faisant mention « du lien de solidarité Collèges cliniques/Forum-École », lorsque celui-ci s’avère possible.
Mais à l’heure où des élections dans l’École viennent de se dérouler, il est un paradoxe découvert au cours des rencontres avec les collègues élus-délégués, de cette difficulté à trouver de nouvelles personnes souhaitant se présenter à ces fonctions. Paradoxe du processus qui amène à formuler une demande à faire partie d’un pôle et/ou de l’École, à payer une cotisation et à s’y engager ou pas.
Il est un enjeu sérieux également à ce que les portes s’ouvrent : « La porte indique […] une totale différence d’intention selon qu’on entre ou qu’on sort », nous dit G. Simmel. Il souligne dans le bien nommé « Pont et porte [6] » qu’« en elle, la limite joux te l’illimité […] à travers la possibilité offerte d’un échange durable ».
Ainsi en est-il du Mensuel comme lieu d’échange durable, en témoigne l’écho qu’il fait aux précieux travaux de Lucile Mons et Mohamed Kadari dans le cadre du LIPP, présentés un 19 septembre au soir.
Ouverture à plus d’un titre donc, avec ce que suggère le sommaire de ce mois de décembre.
Enfin, permettez pour cadeau de fin d’année une courte retranscription d’un entretien avec François Cheng, dans l’émission À voix nue, il y a dix ans :
À l’Alliance française où je suivais les cours, profitant d’une pause je demandais à la jeune répétitrice l’usage exact du mot « échancrure », elle dit « ah, échancrure, c’est… » et de dessiner du doigt devant sa poitrine avec beaucoup de simplicité les lignes de sa robe gracieusement décolletée, donc une chair à la fois montrée et cachée selon une exacte mesure. Aussitôt ce mot prit pour moi une connotation disons sensuelle, c’est-à-dire « échan », quelque chose qui s’ouvre, qui se révèle, qui enchante, et « crure » qui se resserre pour dissimuler un mystère tentateur. Par la suite, comme en écho, me plairont d’autres mots terminés par la finale « ure », celle-ci semble prolonger une secrète trace délicatement ou fermement dessinée, épure, diaprure, cambrure, rainure, ciselure, zébrure, brûlure, déchirure [7].
Je me permettrais d’y ajouter « ouverture », et peut-être même « Où-vers t’ure »… Puissent de nombreuses portes s’ouvrir en ces fêtes de fin d’année.
Élodie Blouin
Ouverture
Clinique(s)
- p. 7-16 Une clinique de l’indirect Paloma Bouvarel
- p. 17-25 Le fantasme, un écran et une fenêtre sur le réel, en peinture avec Magritte Pantchika Doffemont
Les Uns et l’a
- p. 27-47 Manie et lalangue, une même jouissance ? Angélique Walter
- p. 48-57 La lettre à l’épreuve de la psychanalyse Christine Belotti
Travaux du Laboratoire international de politique de la psychanalyse (LIPP)
Écho
Extension
Fragments
Notes de bas de page
↑1 | P. Quignard, Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour, Paris, Le Seuil, 2024, p. 53. Remerciements à Annie Chassagne et à son travail « Le fantasme, l’objet et la discorde, roman du couple ». |
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↑2 | G.-A. Goldschmidt, Le Poing dans la bouche, Lagrasse, Verdier, 2004, p. 10. |
↑3 | Pôle 11 Auvergne, mandat 2022-2024 exercé en compagnie de Virginie Peyragrosse. |
↑4 | J. Lacan, « L’étourdit », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 474-475. |
↑5 | « Addenda (07/2022) : Membres Forum/membre d’École », dans Annuaire 2023, Paris, EPFCL, p. 163. |
↑6 | G. Simmel, « Pont et porte », dans La Tragédie de la culture et autres essais, Paris, Rivage poche/Petite bibliothèque, 1993, p. 165. |
↑7 | France Culture, Émission À voix nue, François Cheng, 2/5 : « Paris et l’apprentissage du français », 2014. |